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Renée VIVIEN

Renée VIVIEN
27 septembre 2012

La Dame à la louve

Conté par M. Pierre Lenoir, 69, rue des Dames, Paris

 

 

        Je ne sais pourquoi j'entrepris de faire la cour à cette femme. Elle n'était ni belle, ni jolie, ni même agréable. Et moi, (je le dis sans fatuité, mesdames,) on a bien voulu quelquefois ne pas me trouver indifférent. Ce n'est pas que je sois extraordinairement doué par la Nature au physique ni au moral: mais enfin, tel que je suis, - l'avouerai-je? - j'ai été très gâté par le sexe. Oh! rassurez-vous, je ne vais pas vous infliger un vaniteux récit de mes conquêtes. Je suis un modeste.  Au surplus, il ne s'agit point de moi en l'occurrence. Il s'agit

de cette femme, ou plutôt de cette jeune fille, enfin de cette Anglaise dont le curieux visage m'a plu pendant une heure.

        C'était un être bizarre. Lorsque je m'approchais d'elle pour la première fois, une grande bête dormait dans les plis traînants de sa jupe. J'avais aux lèvres ces paroles aimablement banales qui facilitent les relations entre étrangers. Les mots ne sont rien en pareil cas, - l'art de les prononcer est tout...

        Mais la grande bête, dressant le museau, grogna d'une manière sinistre, au moment même où j'abordai l'intéressante inconnue.

        Malgré moi, je reculai d'un pas.

        "Vous avez là un chien bien méchant, mademoiselle," observai-je.

        "C'est une louve," répondit-elle avec quelque sècheresse. "Et, comme elle a parfois des aversions aussi violentes qu'inexplicables, je crois que vous feriez bien de vous éloigner un peu."

        D'un appel sévère elle fit taire la louve: "Helga!"

        Je battis en retraite, légèrement humilié. C'était là une sotte histoire, avouez-le. Je ne connais point la peur, mais je hais le ridicule. L'incident m'ennuyait d'autant plus que j'avais cru surprendre dans les yeux de la jeune fille une lueur de sympathie. Je lui plaisais certainement quelque peu. Elle devait être aussi dépitée que moi de ce contre-temps regrettable. Quelle pitié! Une conversation dont le début promettait si bien!...

        Je ne sais pourquoi l'affreux animal cessa plus tard ses manifestations hostiles. Je pus approcher sans crainte de sa maîtresse. Jamais je n'ai vu de visage aussi étrange. Sous ses lourds cheveux d'un blond à la fois ardent et terne, pareils à des cendres rousses, blêmissait la pâleur grise du teint. Le corps émacié avait la délicatesse fine et frêle d'un beau squelette. (Nous sommes tous un peu artiste à Paris, voyez-vous.) Cette femme dégageait une impression d'orgueil rude et solitaire, de fuite et de recul furieux. Ses yeux jaunes ressemblaient à ceux de sa louve. Ils avaient le même regard d'hostilité sournoise. Ses pas étaient tellement silencieux qu'ils en devenaient inquiétants. Jamais on n'a marché avec si peu de bruit. Elle était vêtue d'une étoffe épaisse, qui ressemblait à une fourrure. Elle n'était ni belle, ni jolie, ni charmante. Mais, enfin, c'était la seule femme qui fût à bord.

        Je lui fis donc la cour. J'observai les règles les plus solidement étayées sur une expérience déjà longue. Elle eut l'habilité de ne point me laisser voir le plaisir profond que lui causaient mes avances. Elle sut même conserver à ses yeux jaunes leur habituelle expression défiante. Admirable exemple de ruse féminine! Cette manoeuvre eut pour unique résultat de m'attirer plus violemment vers elle. Les longues résistances vous font quelquefois l'effet d'une agréable surprise, et rendent la victoire plus éclatante... Vous ne me contredirez pas sur ce point, n'est-ce-pas, messieurs? Nous avons tous à peu près les mêmes sentiments. Il y a entre nous une fraternité d'âme si complète qu'elle rend une conversation presque impossible. C'est pourquoi je fuis souvent la monotone compagnie des hommes, trop identiques à moi-même.

        Certes, la Dame à la louve m'attirait. Et puis, dois-je le confesser? cette chasteté contrainte des geôles flottantes exaspérait mes sens tumultueux. C'était une femme... Et ma cour, jusque-là respectueuse, devenait chaque jour plus pressante. J'accumulais les métaphores enflammées. Je développais élégamment d'éloquentes périodes.

        Voyez jusqu'où allait la fourbe de cette femme! Elle affectait, en m'écoutant, une distraction lunaire. On eût juré qu'elle s'intéressait uniquement au sillage d'écume, pareil à de la neige en fumée. (Les femmes ne sont point insensibles aux comparaisons poétiques.) Mais moi qui étudie depuis longtemps la psychologie sur le visage féminin, je compris que ses lourdes paupières baissées cachaient de vacillantes lueurs d'amour.

        Un jour je payai d'audace, et voulus joindre le geste flatteur à la parole délicate, lorsqu'elle se tourna vers moi, d'un bond de louve.

        "Allez-vous-en," ordonna-t-elle avec une décision presque sauvage. Ses dents de fauve brillaient étrangement sous les lèvres au menaçant retroussis.

        Je souris sans inquiétude. Il faut avoir beaucoup de patience avec les femmes, n'est-ce pas? et ne jamais croire un seul mot de ce qu'elles vous disent. Quand elles vous ordonnent de partir, il faut demeurer. En vérité, messieurs, j'ai quelque honte à vous resservir des banalités aussi piètres.

        Mon interlocutrice me considérait de ses larges prunelles jaunes.

        "Vous ne m'avez pas devinée. Vous vous heurtez stupidement à mon invincible dédain. Je ne sais ni haïr ni aimer. Je n'ai jamais rencontré un être humain digne de ma haine. La haine, plus patiente et plus tenace que l'amour, veut un grand adversaire."

        Elle caressa la lourde tête de Helga, qui la contemplait avec de profonds yeux de femme.

        "Quant à l'amour, je l'ignore aussi complètement que vous ignorez l'art, élémentaire chez nous autres Anglo-Saxons, de dissimuler la fatuité inhérente aux mâles. Si j'avais été homme, j'aurais peut-être aimé une femme. Car les femmes possèdent les qualités que j'estime: la loyauté dans la passion et l'oubli de soi dans la tendresse. Elles sont simples et sincères pour la plupart. Elles se prodiguent sans restriction et sans calcul. Leur patience est inlassable comme leur bonté. Elles savent pardonner. Elles savent attendre. Elles possèdent cette chasteté supérieure: la constance."

        Je ne manque point de finesse, et sais comprendre à demi-mot. Je souris avec intention devant cette explosion d'enthousiasme. Elle m'effleura d'un regard distrait qui me devina.

        "Oh! vous vous trompez étrangement. J'ai vu passer des femmes très généreuses d'esprit et de coeur. Mais je ne me suis jamais attachée à elles. Leur douceur même les éloignait de moi. Je n'avais point l'âme assez haute pour ne pas m'impatienter devant leur excès de candeur et de dévouement."

        Elle commençait à m'ennuyer avec ses dissertations prétentieuses. Prude et bas-bleu autant que chipie!... Mais elle était la seule femme à bord... Et puis elle n'arborait ces airs de supériorité qu'afin de rendre plus précieuse sa capitulation prochaine.

        "Je n'ai d'affection que pour Helga. Et Helga le sait. Quant à vous, vous êtes sans doute un bon petit jeune homme, mais vous ne pouvez vous douter à quel point je vous méprise."

        Elle voulait, en irritant mon orgueil, exacerber mon désir. Elle y réussissait, la coquine! J'étais rouge de colère et de convoitise.

        "Les hommes qui s'empressent autour de femmes, n'importe lesquelles, sont pareils aux chiens qui flairent des chiennes."

        Elle me jeta un de ses longs regards jaunes.

        "J'ai si longtemps respiré l'air des forêts, l'air vibrant de neige, je me suis si souvent mêlée aux Blancheurs vastes et désertes, que mon âme est un peu l'âme des louves fuyantes."

        A la fin, cette femme m'effrayait. Elle s'en aperçut, et changea de ton.

        "J'ai l'amour de la netteté et de la fraîcheur," continua-t-elle en un rire léger. "Or, la vulgarité des hommes m'éloigne ainsi qu'un relent d'ail, et leur malpropreté me rebute à l'égal des bouffées d'égouts. L'homme," insista-t-elle, "n'est véritablement chez lui que dans une maison de tolérance. Il n'aime que les courtisanes. Car il retrouve en elles sa rapacité, son inintelligence sentimentale, sa cruauté stupide. Il ne vit que pour l'intérêt ou pour la débauche. Moralement, il m'écoeure; physiquement, il me répugne... J'ai vu des hommes embrasser des femmes sur la bouche en se livrant à des tripotages obscènes. Le spectacle d'un gorille n'aurait pas été plus repoussant."

        Elle s'arrêta une minute.

        "Le plus austère législateur n'échappe que par miracle aux fâcheuses conséquences des promiscuités charnelles qui hasardèrent sa jeunesse. Je ne comprends pas que la femme la moins délicate puisse subir sans haut-le-coeur vos sales baisers. En vérité, mon mépris de vierge égale en dégoût les nausées de la courtisane."

        Décidément, pensai-je, elle exagère son rôle, pourtant très bien compris. Elle exagère.

        (Si nous étions entre hommes, messieurs, je vous dirais que je n'ai pas toujours méprisé les maisons publiques et que j'ai même ramassé maintes fois, sur le trottoir, de piteuses grues. Cela n'empêche pas les Parisiennes d'être plus accommodantes que cette sainte nitouche. Je ne suis nullement fat, mais enfin il faut avoir la conscience de sa valeur.)

        Et, jugeant que l'entretien avait assez duré, je quittai fort dignement la Dame à la Louve. Helga, sournoise, me suivit de son long regard jaune.

        ...Des nuées aussi lourdes que des tours se dressaient à l'horizon. Au-dessus d'elles, un peu de ciel glauque serpentait, comme une douve. J'avais la sensation d'être écrasé par des murailles de pierre...

        Et le vent se levait...

        Le mal de mer m'étreignait... Je vous demande pardon de ce détail peu élégant, mesdames... Je fus horriblement indisposé... Je m'endormis enfin vers minuit, plus lamentable que je ne saurais vous le dire.

        Sur les deux heures du matin, je fus réveillé par un choc sinistre, suivi d'un broiement plus sinistre encore... Des ténèbres se dégageait une épouvante inexprimable. Je me rendis compte que le navire venait de toucher un écueil.

        Pour la première fois de ma vie, je négligeai ma toilette. J'apparus sur le pont en un costume fort sommaire.

        Une foule confuse d'hommes demis-nus s'y bousculait déjà... Ils détachaient en toute hâte les canots de sauvetage.

        En voyant ces bras et ces jambes poilus et ces poitrines hirsutes, je ne pus m'empêcher de songer, non sans un sourire, à une phrase de la Dame à la Louve: "Le spectacle d'un gorille n'aurait pas été plus repoussant..."

        Je ne sais pourquoi ce futile souvenir me railla, au milieu du commun danger.

        Les vagues ressemblaient à de monstrueux volcans enveloppés de fumées blanches. Ou plutôt, non, elles ne ressemblaient à rien. Elles étaient elles-mêmes, magnifiques, terribles, mortelles... Le vent soufflait sur cette colère démesurée et l'exaspérait encore. Le sel mordait mes paupières. Je grelottais sous l'embrun, ainsi que sous une bruine, et le fracas des flots abolissait en moi toute pensée.

        La Dame à la Louve était là plus calme que jamais. Et moi, je défaillais de terreur. Je voyais la Mort dressée devant moi. Je la touchais presque. D'un geste hébété je tâtai mon front, où je sentais, affreusement saillants, les os du crâne. Le squelette en moi m'épouvantait. Je me mis à pleurer, stupidement...

        Je serais une chair bleus et noire, plus gonflée qu'une outre rebondie. Les requins happeraient par-ci, par-là, un de mes membres disjoints. Et, lorsque je descendrais au fond des flots, des crabes grimperaient obliquement le long de ma pourriture et s'en repaîtraient avec gloutonnerie...

        Le vent soufflait sur la mer...

        Je revis le passé. Je me repentis de ma vie imbécile, de ma vie gâchée, de ma vie perdue. Je voulus me rappeler un bienfait accordé par distraction ou par mégarde. Avais-je été bon à quelque chose, utile à quelqu'un? Et ma conscience obscure cria en moi, effroyable comme une muette qui aurait recouvré miraculeusement la parole:

        "Non!"

        Le vent soufflait sur la mer...

        Je me souvins vaguement des paroles saintes qui exhortaient au repentir et qui promettaient, à l'heure de l'agonie même, le salut du pêcheur contrit. Je tâchai de retrouver au fond de ma mémoire, plus épuisée qu'une coupe vide, quelques mots de prière... Et des pensées libidineuses vinrent me tourmenter, pareilles à de rouges diablotins. Je revis les lits souillés des compagnes de hasard. J'entendis de nouveau leurs appels stupidement obscènes. J'évoquai les étreintes sans amour. L'horreur du Plaisir m'accabla...

        Devant l'effroi de l'Immensité Mystérieuse, il ne survivait plus en moi que l'instinct du rut, aussi puissant chez quelques-uns que l'instinct de la conservation. C'était la Vie, la laideur et la grossièreté de la Vie, qui bramaient en moi une protestation féroce contre l'Anéantissement...

        Le vent soufflait sur la mer...

        On a de drôles d'idées à ces moments-là, tout de même... Moi, un très honnête garçon, en somme, estimé de tout le monde, excepté de quelques jaloux, aimé même de quelques-unes, me reprocher aussi amèrement une existence qui ne fut ni pire ni meilleure que celle de tout le monde!... Je dus avoir une passagère folie. Nous étions tous un peu fous, du reste...

        La Dame à la Louve, très calme, regardait les flots blancs... Oh! plus blancs que la neige au crépuscule! Et, assise sur son derrière, Helga hurlait comme une chienne. Elle hurlait lamentablement, comme une chienne à la lune... Elle comprenait...

        Je ne sais pourquoi ces hurlements me glacèrent plus encore que le bruit du vent et des flots... Elle hurlait à la mort, cette sacrée louve du diable! Je voulus l'assommer pour la faire taire, et je cherchai une planche, un espar, une barre de fer, quelque chose enfin pour l'abattre sur le pont... Je ne trouvai rien...

        Le canot de sauvetage était enfin prêt à partir. Des hommes bondirent furieusement vers le salut. Seule, la Dame à la Louve ne bougea point.

        "Embarquez-vous donc," lui criai-je en m'installant à mon tour.

        Elle s'approcha sans hâte, suivie de Helga.

        "Mademoiselle," intervint le lieutenant qui nous commandait tant bien que mal, "nous ne pouvons prendre cette bête avec nous. Il n'y a de places ici que pour les gens.

        - Alors, je reste," dit-elle avec un recul...

        Des affolés se précipitaient, poussant des cris incohérents. Nous dûmes la laisser s'éloigner.

        Quant à moi, je ne pouvais véritablement pas m'embarrasser d'une semblable péronnelle. Et puis elle avait été si insolente à mon égard! Vous comprenez cela, n'est-ce pas, messieurs? Vous n'auriez pas agi autrement que moi.

        Enfin, j'étais sauvé, ou à peu près. L'aurore s'était levée, et quelle aurore, mon Dieu! C'était un grelottement de lumière transie, une stupeur grise, un grouillement d'êtres et de choses larvaires dans un crépuscule de limbes...

        Et nous vîmes bleuir la terre lointaine...

        Oh! la joie et le réconfort d'apercevoir le sol accueillant et sûr!... Depuis cette horrible expérience, je n'ai fait qu'un seul voyage sur mer, pour revenir ici. On ne m'y reprendra plus, allez!

        Je dois être très peu égoïste, mesdames. Au milieu de l'incertitude indicible où je me débattais, et quoique à grand'peine échappé à la Destruction, j'eus encore le courage de m'intéresser au sort de mes compagnons d'infortune. Le second canot avait été submergé par l'assaut frénétique d'un trop grand nombre de déments. Avec horreur je le vis sombrer... La Dame à la Louve s'était réfugiée sur un mât brisé, épave flottante, ainsi que la bête soumise... J'eus la certitude que, si les forces et l'endurance de cette femme ne la trahissaient point, elle pourrait être sauvée. Je le souhaitai de tout mon coeur... Mais le froid, la lenteur et la fragilité de cette embarcation improvisée, sans voiles et sans gouvernail, la fatigue, la faiblesse féminine!

        ... Elles étaient à une courte distance de la terre, lorsque la Dame, épuisée, se tourna vers Helga, comme pour lui dire: "Je suis à bout..."

        Et voici que se passa une chose douloureuse et solennelle. La Louve, qui avait compris, prolongea vers la terre proche et inaccessible son hurlement de désespoir... Puis, se dressant, elle posa ses deux pattes de devant sur les épaules de sa maîtresse, qui la prit entre ses bras... Toutes deux s'abîmèrent dans les flots...

 

                                                                                -- Renée Vivien --

 

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27 septembre 2012

Le Club des damnés

Le Glasgow Hell Club, raconte une authoress anglaise, Mrs Crowe, dans un curieux volume, The Night Side of Nature (Le Côté nocturne de la Nature), était la fable de la bonne ville puritaine. Ses orgies étaient sévèrement commentées par les modernes disciples de John Knox, qui hochaient en choeur leurs respectables têtes écossaises.

        Le Club de Damnés tenait séance toutes les nuits. Ces veilles se prolongeaient jusqu'au petit jour. Et les rares passants éveillés dès le premier crépuscule contemplaient, en dissimulant une crainte vague, les fenêtres encore éclairées du Club. Les lumières s'atténuaient, spectrales, dans la vaste clarté réprobatrice. Des chansons rauques s'élevaient en zig-zag, entrecoupées par des hoquets d'ivrognes. Et l'horreur des rires fusait, sinistre comme des baisers sans amour.

        Tout ce que la débauche a d'abject et de crapuleux était recherché avidement par les membres du Club démoniaque. On les haït avec effroi. On les méprisa avec prudence. On s'écartait sur leur insolent passage.

        Le plus cynique des Damnés fut Ninian Graham. Ce jeune Ecossais, qui n'était ni sans talent ni sans avenir, s'était enlizé dans le plaisir du vice. Sa majorité à peine atteinte, il abandonna ses études pour ses maîtresses, Barbara et Maggie, et, n'ayant pu choisir entre elles, il se ruinait impartialement pour toutes deux.

        Un soir de novembre, Ninian se dirigea vers la montagne. Le cheval suivait vaillamment la sente rocailleuse qui longeait l'abîme, lorsqu'un Etranger, embusqué derrière une roche spectrale, s'élança sur le chemin, et, saisissant la bride de la bête:

        "Viens!" dit-il au jeune Ecossais immobilisé par une incompréhensible terreur.

        "Où me conduisez-vous?" grelotta enfin la voix de Ninian.

        "En Enfer!" répondit l'Inconnu, dont il ne voyait que les prunelles vastes comme le désespoir des ténèbres.

        ... Et l'Inconnu entraîna Ninian dans le gouffre... Ils tombèrent... Ils tombèrent, pendant un temps incalculable. L'Inconnu parla enfin:

        "Nous voici au terme."

        Ninian s'attendait à des clameurs féroces, à des blasphèmes et à des grincements de dents. Ses tempes moites se glacèrent. Ses paupières battirent puis se refermèrent sur ses prunelles sans regard.

        Un murmure de voix le réveilla de sa stupeur misérable. Violemment, il ouvrit ses yeux hébétés.

        ... Il était chez sa tante, morte depuis cinq ou six ans. La vénérable dame tricotait, tandis que ses invités de jadis, un vieil officier de marine, un négociant retiré des affaires et sa respectable épouse, jouaient au bezigue. Ninian les reconnut tous. Un frisson le secoua. Ils avaient cet air honnête et béat qui, pendant leur existence terrestre, fut leur principal attrait.

        "Où suis-je donc?" balbutia le jeune homme.

        "En Enfer," répondit avec simplicité sa vieille tante.

        Et, souriante, elle baissa de nouveau les yeux sur son ouvrage.

        Une indicible horreur s'insinua en Ninian et le mordit à la moelle. Il atteignit d'un élan farouche la porte, descendit l'escalier en courant et s'élança dans la rue.

        Les cloches presbytériennes d'un dimanche écossais sonnaient avec régularité. Une foule de gens bien vêtue sortait de l'église. Il y avait là des pères de familles, d'importantes patronnesses d'oeuvres charitables, d'anciens épiciers et des magistrats. De jeunes femmes passaient, les cheveux invraisemblablement lisses: elles tenaient par la main des enfants disciplinés.

        "Où suis-je donc?" demanda Ninian à une de ces irréprochables épouses.

        "En Enfer," répondirent-elles d'une voix assurée et modeste.

        Ninian erra longtemps par les rues populeuses. Le soir tomba, idéalement embrumé, et la paix vespérale plana sur les maisons. Le jeune homme vit briller, à travers l'ombre, la lueur rouge d'un cabaret. Des hommes buvaient et chantaient. Le whisky se dorait dans leurs gobelets, et le gin s'y argentait comme une eau lunaire. Leurs bonnes faces d'ivrognes rassuraient et réconfortaient Ninian.

        "Où suis-je donc?" demanda-t-il à un vieux pochard, qui, gaillardement, entamait un refrain obscène.

        "En Enfer, damn you!" riposta le bon vivant dans un large rire.

        Son aspect cordial enhardit le voyageur.

        "On m'a toujours parlé de l'Enfer comme un endroit d'effroyables tortures," observa-t-il. "On s'est évidemment trompé ou, ce qui est moins probable cependant, je me trompe moi-même.

        - On ne t'a point trompé et tu ne te trompes point," interrompit l'ivrogne. "On est très gai, en Enfer. C'est pourquoi l'on y souffre abominablement.

        - Mais, d'après ce que je vois," objecta Ninian, "chacun ne fait ici que revivre sa vie terrestre.

        "Et voilà le supplice," répondit l'ivrogne.

        Il s'arrêta pour lamper un énorme verre d'eau-de-vie ensoleillé, puis reprit en larmoyant:

        "Nous fûmes tous des âmes sans amour et sans au-delà. Nous ne cherchions que les égoïstes satisfactions matérielles. Aussi sommes-nous condamnés à revivre éternellement notre vie passé. Nous gardons, comme autrefois, un regard limpide et un front serein. Nous menons, comme autrefois, une existence repue d'honnêtes gens et de braves gens. Et, seuls, nous savons ce qu'il y a dans nos coeurs et dans notre pensée. Nous fûmes les honnêtes gens qui, orgueilleux de leur passé sans blâme, jugèrent implacablement les défaillances du prochain. Nous fûmes les braves gens qui, dans leur placidité cossue, demeurèrent insensibles aux souffrances d'autrui. Nous fûmes les braves gens rapaces et voraces que leurs semblables imitèrent avec déférence. Nous fûmes les honnêtes gens féroces et stupides qui observent le décorum et maintiennent les lois. Nous fûmes tous d'honnêtes et de braves gens. Et c'est pourquoi nous sommes condamnés au Châtiment Eternel."

        Ses larmes d'ivrogne tombèrent le long de ses joues violacées.

        "Il a le vin triste," pensa Ninian.

        La fumée était si épaisse qu'elle voila les visages embrumés. Ninian, pris à la gorge par les âcres émanations des alcools, des haleines et des sueurs, étouffa... Il vacilla sur ses jambes, trébuchant, chancelant...

        Il se retrouva sur les moors, la tête enfouie dans la bruyère. Son cheval broutait à quelques pas. L'air du matin le fouettait aux tempes et aux joues.

        ... Ce rêve fut, selon toute évidence, un pressentiment du Ciel, puisque, un an et un jour après l'étrange vision, Ninian Graham mourut, sans s'être amendé, hélas!

        Les erreurs de sa vie terrestre furent telles que nous ne pouvons espérer pour lui la clémence divine. Il ne put point, ou plutôt ne sut pas, échapper à cet Enfer qui lui fut si miraculeusement révélé.

 

 

                                                                                -- Renée Vivien --

4 avril 2011

Elle est toujours vivante

Un commentaire posté ici mais non retrouvé :

chichi nous écrit qu'elle est toujours vivante !!!

Ben oui, on le sait !

8 juillet 2010

Moi René(e) VIVIEN

Bienvenu à Toi Morrocco  si tu viens par ici ...

Dans mon Univers Poétique ... la Poésie telle que je l'aime....

Bisous

5 février 2010

Le voile du silence

Tandis que le remous des bruns varechs s'endort,
Le silence a posé deux longs doigts sur ses lèvres.
La Dame de l'Automne et la Dame des Fièvres,
Les bras liés, ont pris le chemin de la mort.

Et voici, sous les étoiles qui se sont tues,
Les pasteurs d'Ionie et des Iduméens.
La baie a des repos méditerranéens,
Et les arbres ont des fixités de statues,

Le silence est vêtu d'une robe gris-bleu.
Ses yeux sont une nuit smaragdine et sereine...
C'est l'heure où les douleurs retiennent leur haleine,
N'osant plus sangloter leur déchirant aveu.

L'ombre, ayant répandu l'azur vert des urnes,
S'abandonne aux douceurs lasses du souvenir,
Et, parmi l'or des cieux que le soir vient ternir,
Le voile du silence a des plis taciturnes.

Hélène de Zuylen de Nyevelt (1868-1947)

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18 janvier 2010

La Muse aux violettes

Poème hommage de 1910 :

http://www.blog-video.tv/video-18709c058d-Archive-tele-du-18-01-2010-16-56-40.html

11 janvier 2010

Chansons pour mon ombre

http://www.blog-video.tv/video-1870900a03-Archive-tele-du-11-01-2010-11-39-12.html

Début du recueil édité sous Pauline M. TARN (1907)

durée : 18 minutes

http://www.blog-video.tv/video-18709a76da-Archive-tele-du-11-01-2010-12-16-46.html

durée : 29 minutes

(Diffusion Libre)

11 janvier 2010

Le tombeau de Renée Vivien

Charles Moulié, Le tombeau de Renée Vivien, Sansot, 1910

Charles Moulié fut le secrétaire de Pierre Louÿs. Il a donc forcément bien connu le cercle de Renée Vivien et de Natalie Barney.
Quelques poèmes sans génie pour raconter la vie et la mort de la poétesse. Chose troublante : Moulié semble confondre Natalie Barney et Violette Shillito ! En effet, dans l'un des poèmes, il évoque la mort de "Loreley". Et ça, ça ne colle pas ! En effet, "Loreley" a toujours été le "petit nom" que Vivien donnait à Natalie Barney, bien vivante en 1910 ! La seule qui soit morte avant Renée est bien sûr Violette Shillito, son premier amour. Décédée en 1901, Violette continue de hanter Renée Vivien qui se sent pleine de remords car, au lieu de répondre à l'appel de son amie mourante, elle file le parfait amour avec Lorely/Moonbeam/Natalie... Mais ceci est une autre histoire... en tout cas pas celle de Charles Moulié.

Lire en pdf : Moulie__Le_tombeau_de_Vivien

in introuvables lesbiens via canalblog

11 janvier 2010

Les introuvables lesbiens

Les Introuvables lesbiens

Ecrits lesbiens chez canalblog : un blog voisin qui consacre une partie à Renée Vivien ...  que je ne saurais trop te conseiller de visiter ...

  • SWINBURNE (2 références)

Renée Vivien, Fragments de son journal (1893), commenté par André Germain

Pauline Tarn/Renée Vivien avait seize ans et demi lorsqu'elle écrivit ces pensées/réflexions/rêves, etc. etc. Une chose est sûre : elle n'était pas encore lesbienne, mais déjà "féministe"...
André Germain raconte comment il a retrouvé ces morceaux du journal de la poète. Fidèle à sa marque de fabrique (lire son "Renée Vivien" en pdf sur ce blog), Germain fait tout un tas de mystères autour du nom des protagonistes... donc difficile de démêler les fils de l'histoire de cette réapparition du journal. Cela dit, Germain ne manque pas d'égratigner au passage un personnage qu'il ne cite pas, bien sûr (il s'agit de Salomon Reinach) qui a raflé à la postérité une grande quantité de documents sur ou par Renée Vivien ! Précisons que Reinach a légué ces documents à la Bibliothèque nationale avec interdiction de les rendre publics avant l'an 2000...
Revenons à la "méthode" André Germain : il essaime, entre les citations du journal, ses propres commentaires ! Après nous avoir expliqué le plus naturellement du monde comment il s'est octroyé le droit de publier certains extraits et pas d'autres !
Certes, ces fragments n'ont rien d'extraordinaire du point de vue littéraire ! mais ils témoignent des ambitions de l'adolescente qui se rêve auteure célèbre, qui se rêve épouse et mère comblée (pour vomir sur le mariage quelques lignes plus loin...) et qui veut apprendre le grec pour étudier... Platon.

Lire les fragments du journal en pdf : Vivien___extrait_de_journal

Posté par sabine huet à 19:00 - VIVIEN Renée (12 références) - Commentaires [0] -

11 janvier 2010

La Divinité inconnue

La femme que j'aime, la femme inconnue, demeure au fond d'un antique palais où s'obstine un soir perpétuel.

            Le vieux palais vénitien où son enfance a germé, où son adolescence a fleuri, sommeille en le silence des eaux mortes. L'ombre du passé estompe les nuances fragiles des étoffes et les couleurs des tableaux. C'est à peine si on entend frémir les souffles de la mer dans les plis des rideaux pesants.

            Il y a du silence en elle et autour d'elle.

            On devine, en l'approchant, qu'elle a toujours vécu dans la solitude. Elle a de longues mains auxquelles la pénombre a donné les tons jaunis des vieux ivoires. Son regard a le reflet des eaux mortes. Elle parle si bas qu'il faut se recueillir pour l'entendre. Et sa parole semble l'écho d'une plainte que nul n'a jamais entendue.

            Dans la chambre qu'elle habite, on sent la présence mystérieuse de l'Ame. Elle aime les fleurs qui se fanent, et s'attriste voluptueusement lorsque le crépuscule fait tomber avec regret les pétales d'une rose.

            Sa robe de deuil a l'épaisseur douce des ténèbres. Elle est comme enveloppée de nuit.

            Ses cheveux sont tissés de rayons nocturnes et mêlés de pourpre, comme si l'Ombre y avait effeuillé ses calmes violettes.

            Je l'aime parce qu'elle m'est inconnue et n'existe que dans un songe.

11 janvier 2010

Conte Dorien

J'instruisis Hérô de Guara, la (vierge) légère à la course.

Psappha.

            Hérô de Guara fut, comme Atalanta, une vierge légère à la course. La foule contemplait de loin ses fuyantes sandales d'or, aussi promptes que l'éclair, lorsque, la première, elle atteignait au but, le vent du matin ayant dénoué ses cheveux et ravivé l'aurore de ses joues. Des souffles de fenouil et de thym, imprégnant son corps, flottaient autour d'elle.

            Elle avait l'âme vaste et vide des solitudes. Son rêve était imprécis comme l'espace, et jamais le désir de l'amour n'avait enfiévré la fraîcheur de ses yeux où frissonnait un reflet d'herbe et de feuillages.

            Un soir, elle écoutait murmurer la mer éternellement éprise de Mytilène, la mer qui resserre autour de l'Ile sacrée sa profonde étreinte, lorsqu'elle entendit chanter une voix amoureuse comme la mer:

            "Viens, Déesse de Kuprôs, et verse délicatement dans les coupes d'or le nektar mêlé de joies."

            Et, lentement, une Femme sortit de l'ombre méditative des arbres et s'arrêta devant l'étrangère en disant:

            "Je suis Psappha de Lesbôs."

            Sa chevelure entrelacée d'hyacinthes, sa chevelure aux profondeurs nocturnes, ondoyait sous la brise, et ses yeux, bleus comme l'Egée, insondables et changeants, attiraient ainsi que l'eau très profonde. Elle avait la pâleur de l'herbe que le soleil a décoloré. Ses mains étaient parfumées de violettes, dont elle tressait des couronnes. Sa voix était pareille à la voix de Peithô, la Persuasion qui sert l'Aphrodita et qui entraîne les êtres vers l'amour. Et son sourire avait la douceur lointaine du sourire de Sélanna.

            Hérô la contemplait, muette. L'ardente rougeur du soir brûlait leurs fronts. Un silence plein de frémissement les enveloppait toutes deux.

            Leur beauté dissemblable s'harmonisait et se complétait, et leurs songes de voluptés s'unirent.

            "Viens, dit enfin la Lesbienne, je t'enseignerai les chants et l'amour."

            Elle s'approcha, et les lèvres de la vierge agonisèrent sous la flamme du baiser.

11 janvier 2010

La Chevelure

J'aime la Chevelure d'un amour où se mêle un peu d'effroi. Car elle possède une existence à part, une existence étrange et presque terrible. J'ai connu des femmes d'une fragilité inquiétante, dont l'excessive chevelure épuisait toutes les forces, et qui mouraient du poids de leurs cheveux. Et l'on a vu les chevelures des Mortes vivre et s'allonger au profond du tombeau...

            Une princesse de légende expira, jadis, dans la fleur pâle de sa virginité. Le roi son père fit ensevelir, en un tombeau de marbre noir, ce divin corps intact qui semblait pétri de reflets de perles et de parfums de roses blanches. Elle y dormit pendant cent ans. Mais un roi poète ceignit la couronne, et, après avoir recueilli les anciennes ballades qui glorifiaient les cheveux ondoyants de la princesse de légende, il fit ouvrir le tombeau de marbre noir, afin d'y retrouver un suprême vestige de toute cette beauté dont le souvenir chantait encore sur les lèvres des hommes.

            Ayant pénétré dans le mausolée, il recula, épouvanté et ravi. Car la chevelure de la Morte ruisselait comme un clair de lune merveilleux et illuminait les ténèbres sépulcrales de ses lueurs de cristal et d'argent. Ses blonds froids se composaient de tous les bleus du soir, de tous les verts de la nuit, de tout l'or irréel des étoiles. Et la chevelure enveloppait le squelette d'un réseau fin comme les fils ténus de l'araignée tendus sur la rosée... A travers les âges, la Chevelure immortelle survivait à la vierge dont elle fut la joie et l'orgueil.

                                                                                                                             in Du vert au violet

11 janvier 2010

Tombeau héroïque

            Je vis un tombeau sans fleurs dans un cimetière où s'épanouissaient toutes les fleurs du regret et du souvenir, - les roses pâles comme la souffrance, les pensées sombres comme le remords et les violettes tristes comme le rêve.

            Un homme qui passait cracha sur le tombeau sans fleurs, et, comme d'un geste je blâmais l'acte sacrilège, il me dit: "Je flétris le tombeau d'un lâche."

            Je méditai jusqu'au soir, respirant les fleurs du regret et du souvenir, et le Couchant glorifia le tombeau d'une auréole magique.

            Sous l'ombre des cyprès, une forme immobile et blanche que je n'avais point remarquée parmi les statues de marbre, s'anima et vint vers moi, lente et résolue.

            "Le passant a menti, dit-Elle: ce tombeau consacre une héroïque mémoire. Tu liras, sur le marbre, le nom d'un homme qui mourut volontairement. Il a dominé l'instinct le plus puissant, celui de la Vie. Il a triomphé de la nature, en ce qu'elle a de plus tenace, par l'Acte de Destruction. Et c'est pourquoi j'ai tracé en lettres d'or, sur le monument funèbre, ces mots que mes pleurs n'ont pu effacer:

            "Il a vaincu."

            - Non, lui répondis-je, il a fait mieux encore: il s'est affranchi.

            - N'est-ce pas la plus grande victoire? me demanda-t-Elle.

            ... Et le soir but nos paroles.

                                                                                          in du vert au violet

11 janvier 2010

La Dogaresse

Poème vénicien

            La Dogaresse pleure au fond du Palais.

            Elle est jalouse, elle est délaissée, elle se lamente dans la solitude,

            Car voici l'aurore du jour sacré où le Doge doit épouser la Mer.

            Le sel des baisers, pareils au sel des larmes, flotte dans l'espace.

            Et la Mer est parée de lumière, la Mer a revêtu sa robe nuptiale, sa robe de soleil.

            La Dogaresse pleure au fond du Palais.

            Car la Dogaresse est jalouse de la Mer, de l'éternelle Amante qui lui ravit son époux.

            - Toi dont les yeux ont la mélancolie des lagunes, toi dont les yeux gardent le reflet des eaux mortes, ô Dogaresse pitoyable et jalouse, écoute-moi,

            Je sais les secrets de la Mer.

            Elle est ardente et stérile, elle aime l'amour de la Lune et elle méprise l'amour des hommes.

            Elle attend avec anxiété l'heure des ténèbres qui doit l'unir à sa mystique Amante.

            Lorsque se mêlera leur baiser, tu verras le frémissement et tu entendras la plainte de ta Rivale.

            La Lune et la Mer s'aimeront, cette nuit, au profond de l'espace.

            Sois donc sans crainte, ô Dogaresse: dès le crépuscule, la Mer te rendra ton époux.

            Tu le retrouveras pâle de désir inassouvi, et tu presseras longtemps sur tes lèvres ses lèvres amères.

            Mais ne t'épouvante point si ton époux ne te rend plus tes caresses, car ceux que la Mer a dédaignés meurent de son mépris.

            Cette nuit, la Lune et la Mer s'aimeront au profond de l'espace.

                                                                                        in du Vert au violet

11 janvier 2010

Lilith

Légende hébraïque

                                               "Au fond des choses, croyez-moi, la femme

                                               n'a jamais aimé que le serpent."

                                                           Villiers de l'Isle-Adam

            Lilith fut créée avant Eve.

            Elle était plus belle que la Mère de la race humaine. Elle ne fut point tirée de la chair de l'homme, mais elle naquit d'un souffle de l'aurore.

            Ses cheveux de pourpre incendiaient le crépuscule, et ses yeux reflétaient la beauté de l'univers.

            Dieu, lorsqu'il créa Lilith, la destina au sourire de l'homme. Mais elle considéra l'homme, et le trouva d'essence grossière et inférieure à elle-même.

            Et elle détourna ses yeux d'Adam.

            Un soir, tandis qu'elle errait dans les jardins triomphaux de l'Eden, elle vit le regard ineffablement douloureux de Satan posé sur elle.

            Il avait revêtu la forme onduleuse et souple du Serpent, et ses yeux étincelaient comme de pâles émeraudes.

            Il dit à la Femme: "Tu ignores le mystère de l'Amour.

            "C'est à tort que tu méprises ton disgracieux compagnon, car tu peux lui apprendre et apprendre de lui des joies inconnues."

            Lilith contempla les yeux étranges, pareils à deux pâles émeraudes.

            Et elle lui répondit: "Tu mens, et tu me tentes par l'appât vulgaire des plaisirs sans beauté.

            "Toi seul sais le secret des voluptés subtiles qui ressemblent à l'Infini.

            "Toi qui me tentes avec des paroles d'amour, sois mon Amant mystique.

            "Je ne concevrai pas et je n'enfanterai pas sous l'ardeur de ton étreinte.

            "Mais nos rêves peupleront la terre, et nos chimères s'incarneront dans l'Avenir."

            Il y eut entre eux un silence frémissant.

            Et, de l'enlacement de Lilith et du Serpent, naquirent les songes pervers, les parfums malfaisants, les poisons de révolte et de luxure qui hantent l'esprit des hommes et rendent leur âme semblable à l'âme dangereuse et triste des Anges du Mal.

                                                                                                       in Du vert au violet 1903

11 décembre 2009

Meilleurs voeux

L'année 2009 consacrée au centenaire de la mort de Renée Vivien s'achève ...

Mais l'hommage doit se poursuivre ... ainsi ce Blog se poursuivra ...

Bonne Lecture !

30 novembre 2009

Une femme m'apparut (roman)

30 novembre 2009

RenéeVivien.com

http://www.youtube.com/watch?v=ogH8wo6SamY

Un lien de ma lecture de ce très beau Site...  mais malheureusement la webmastrice ne répond pas à nos mails ... ni à moi, ni à une collègue Fan de Vivien aussi ... c'est dommage !

30 novembre 2009

Le dédain de Psappha

Vous n’êtes rien pour moi.
Pour moi, je n’ai point de ressentiment,
mais j’ai l’âme sereine.

Psappha

Vous qui me jugez, vous n’êtes rien pour moi.
J’ai trop contemplé les ombres infinies.
Je n’ai point de l’orgueil de vos fleurs, ni l’effroi
De vos calomnies.

Vous ne saurez point ternir la piété
De ma passion pour la beauté des femmes,
Changeantes ainsi que les couchants d’été,
Les flots et les flammes.

Rien ne souillera les fonts éblouissants
Que frôlent mes chants brisés et mon haleine.
Comme une Statue au milieu des passants,
J’ai l’âme sereine.

in La Vénus des aveugles

30 novembre 2009

A la Florentine

Entre tes seins blêmit une perle bizarre.
Tu rêves, et ta main curieuse s’égare
Sur les algues de soie et les fleurs de satin.
J’aime, comme un péril, ton sourire latin,
Tes prunelles de ruse où l’ombre se consume
Et ton col sinueux de page florentin.

Tes yeux sont verts et gris comme le crépuscule.
Insidieusement ton rire dissimule
La haine délicate et le subtil courroux.
Tes cheveux ont les bruns ardents des rosiers roux,
Et ta robe au tissu mélodieux ondule
Ainsi qu’une eau perfide où chantent les remous.

Les pieuvres du printemps guettent les solitudes ;
Le musical avril prépare ses préludes ;
Le gouffre des matin et l’abîme des soirs
S’entrouvrent ; les désirs, pareils aux désespoirs,
M’entraînent vers les sanglotantes lassitudes
Que la perversité parsème d’iris noirs.

in La Vénus des aveugles

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Renée VIVIEN
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